Léda - L'étude des animaux

Mythes - Poésies - Légendes - Histoires naturelles

Pélican

1707 - 1788 - Comte de Buffon - Histoire naturelle Tome 23 - Le pélican [extraits]

Le Pélican est plus remarquable, plus intéressant pour un naturaliste par la hauteur de sa taille, et par le grand sac qu’il porte sous le bec, que par la célébrité fabuleuse de son nom, consacré dans les emblèmes religieux des peuples ignorants; on a représenté sous sa figure la tendresse paternelle se déchirant le sein pour nourrir de son sang sa famille languissante; mais cette fable que les Égyptiens racontaient déjà du vautour, ne devait pas s’appliquer au pélican qui vit dans l’abondance, et auquel la nature a donné de plus qu’aux autres oiseaux pêcheurs une grande poche dans laquelle il porte et met en réserve l’ample provision du produit de sa pêche.

[...]

Le pélican pèche en eau douce comme en mer; et dès lors on ne doit pas être surpris de le trouver sur les grandes rivières; mais il est singulier qu’il ne s’en tienne pas aux terres basses et humides, arrosées par de grandes rivières, et qu’il fréquente aussi les pays les plus secs, comme l’Arabie et la Perse, où il est connu sous le nom de porteur d’eau (tacab); on a observé que comme il est obligé d’éloigner son nid des eaux trop fréquentées par les caravanes, il porte de très loin de l’eau douce dans son sac à ses petits; les bons musulmans disent très religieusement que Dieu a ordonné à cet oiseau de fréquenter le désert pour abreuver au besoin les pélerins qui vont à la Mecque, comme autrefois il envoya le corbeau qui nourrit Élie dans la solitude; aussi les Égyptiens en faisant allusion à la manière dont ce grand oiseau garde de l’eau dans sa poche, l’ont surnommé le chameau de la rivière. [...]


1810 - 1857 - Alfred de Musset
La Nuit de Mai [extrait]

La Muse

Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau ?
Ô poète ! un baiser, c'est moi qui te le donne.
L'herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C'est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du coeur :
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.

Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.

Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le coeur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

Pélican Buffon jpg
Pélican - Buffon - Hist. nat. - Source

1496 - 1544 - Clément Marot
De la Passion nostre Seigneur Jesuchrit

Le Pellican de la forest Celique
Entre ses faictz tant beaulx, et nouvelletz
Apres les Cieulx, et l'Ordre Archangelique,
Voulut créer ses petis Oyselletz.
Puis s'en volla, les laissa tous seuletz,
Et leur donna, pour mieulx sur la Terre estre,
La grand forest de Paradis Terrestre,
D'arbres de vie amplement revestue
Plantez par luy, qu'on peult dire en tout estre
Le Pellican, qui pour les siens se tue.

Mais ce pendant qu'en ramage musique
Chantent au boys comme Rossignoletz,
Ung Oyselleur cauteleux, et inique
Les a deceuz à Glus, Rhetz, et Filletz:
Dont sont bannis des Jardins verdeletz,
Car des haultz fruictz trop voulurent repaistre.
Parquoy en lieu sentant pouldre, et Salpestre
Par plusieurs ans mainte souffrance ont eue,
En attendant hors du beau lieu Champestre
Le Pellican, qui pour les siens se tue.

Pour eulx mourut cest Oysel deificque,
Car du hault boys plein de sainctz Angeletz
Volla çà bas par Charité pudique,
Où il trouva Corbeaux tresordz, et laidz:
Qui de son sang ont faictz maintz ruisseletz,
Le tourmentant à dextre, et à senestre,
Si que la Mort, comme l'on peult congnoistre,
A ses Petis a la vie rendue.
Ainsi leur feit sa bonté apparoistre
Le Pellican, qui pour les siens se tue.

Envoy
Les Corbeaulx sont des Juifs exilez,
Qui ont a tort les membres mutillez
Du Pellican: c'est du seul Dieu et maistre.
Les Oyseletz, sont humains, qu'il feit naistre.
Et L'oyseleur, la Serpente tortue,
Qui les deceut, leur faisant mescongnoistre
Le Pellican, qui pour les siens se tue.