Léda - L'étude des animaux

Mythes - Poésies - Légendes - Histoires naturelles

Loup - Loup-garou

-43 - 18? - Ovide / G.T. Villenave - Les Métamorphoses Livre 1 - Lycaon et les crimes de la terre [extrait]

[...] "J'avais passé le Ménale, horrible repaire de bêtes féroces, le mont Cyllène, et les forêts de sapins du froid Lycée. J'arrive dans l'Arcadie au moment où les crépuscules du soir amènent la nuit après eux, et j'entre sous le toit inhospitalier du tyran de ces contrées. J'avais assez fait connaître qu'un dieu venait les visiter. Déjà le peuple prosterné m'adressait des vœux et des prières. Lycaon commence par insulter à sa piété: Bientôt, dit-il, j'éprouverai s'il est dieu ou mortel, et la vérité ne sera pas douteuse. Il m'apprête un trépas funeste, pendant la nuit, au milieu du sommeil. Voilà l'épreuve qu'il entend faire pour connaître la vérité: et, non content de la mort qu'il me destine, il égorge un otage que les Molosses lui ont livré. Il fait bouillir une partie des membres palpitants de cette victime, il en fait rôtir une autre; et ces mets exécrables sont ensemble servis devant moi. Aussitôt, des feux vengeurs, allumés par ma colère, consument le palais et ses pénates dignes d'un tel maître. Lycaon fuit épouvanté. Il veut parler, mais en vain: ses hurlements troublent seuls le silence des campagnes. Transporté de rage, et toujours affamé de meurtres, il se jette avec furie sur les troupeaux; il les déchire, et jouit encore du sang qu'il fait couler. Ses vêtements se convertissent en un poil hérissé; ses bras deviennent des jambes: il est changé en loup, et il conserve quelques restes de sa forme première: son poil est gris comme l'étaient ses cheveux; on remarque la même violence sur sa figure; le même feu brille dans ses yeux; tout son corps offre l'image de son ancienne férocité. [...]"

23 - 79 - Pline l'Ancien / E. Littré - Histoire naturelle Livre VIII 34 - les loups

Loup Buffon jpg
Loup - Buffon - Hist. nat. - Source

En Italie aussi on croit que le regard des loups est nuisible, et que voyant un homme avant d'en être vus ils le privent momentanément de la voix. En Afrique et en Égypte les loups sont petits et sans force; dans les pays froids ils sont farouches et redoutables. On a dit que des hommes se changeaient en loups, puis reprenaient leur forme; nous devons croire fermement que cela est faux, ou ajouter foi à toutes les fables dont tant de siècles ont démontré la fausseté.

Mais d'où vient que cette opinion ait pris de telles racines dans l'esprit du vulgaire, que le mot de loup-garou soit un terme d'imprécation? Nous allons le dire. D'après Évanthes, écrivain grec qui n'est pas sans réputation, les livres des Arcadiens disent qu'un individu de la famille d'un certain Anthus est choisi au sort parmi les siens, et conduit à un étang de l'Arcadie; que là, suspendant ses habits à un chêne, il passe l'étang à la nage, va dans la solitude, se transforme en loup, et vit pendant neuf ans avec les animaux de cette espèce.

Si pendant ce temps il n'a vu aucun homme, il retourne à l'étang, et, après l'avoir traversé à la nage, il reprend la forme humaine: seulement il se trouve âgé de neuf ans de plus qu'avant sa métamorphose; Fabius ajoute même qu'il reprend son ancien vêtement. On est stupéfait de l'excès de la crédulité grecque; il n'est pas de mensonge si impudent qui ne soit appuyé d'un témoignage. Ainsi Agriopas, historien des Vainqueurs Olympiques, raconte que Déménète de Parrhasie (IV, 10) ayant goûté des entrailles d'un enfant, immolé dans le sacrifice de victimes humaines que les Arcadiens faisaient encore dans ce temps à Jupiter Lycéen, fut métamorphosé en loup; qu'au bout de dix ans, rendu aux Jeux athlétiques, il disputa le prix du pugilat, et revint victorieux d'Olympie.

Bien plus, on croit vulgairement qu'un petit poil qui est à la queue du loup constitue un philtre amoureux, et que l'animal pris jette ce poil, qui n'a de vertu qu'autant qu'il est enlevé sur l'animal vivant. On dit que le temps de l'accouplement des loups n'est, dans toute l'année, que de douze jours; qu'affamé, il se nourrit de terre. De tous les présages le plus favorable est de voir son chemin coupé à droite par un loup ayant la gueule pleine. Au même genre appartiennent les loups appelés cerviers, tels que l'animal qui, avons-nous dit (8, 28), venu de la Gaule, fut montré dans les jeux célébrés par le grand Pompée. Ce dernier animal, même ayant faim, oublie, dit-on, s'il tourne la tête, les aliments qu'il mangeait, et va ailleurs en chercher d'autres.

1707 - 1788 - Comte de Buffon - Histoire naturelle Tome 7 - le loup [extrait]

Le loup est l’un de ces animaux dont l’appétit pour la chair est le plus véhement; et quoiqu’avec ce goût il ait reçu de la Nature les moyens de le satisfaire, qu’elle lui ait donné des armes, de la ruse, de l’agilité, de la force, tout ce qui est nécessaire en un mot pour trouver, attaquer, vaincre, saisir et dévorer sa proie, cependant il meurt souvent de faim, parce que l’homme lui ayant déclaré la guerre, l’ayant même proscrit en mettant sa tête à prix, le force à fuir, à demeurer dans les bois, où il ne trouve que quelques animaux sauvages qui lui échappent par la vitesse de leur course, et qu’il ne peut surprendre que par hasard ou par patience, en les attendant longtemps, et souvent en vain, dans les endroits où ils doivent passer.

Il est naturellement grossier et poltron, mais il devient ingénieux par besoin, et hardi par nécessité; pressé par la famine, il brave le danger, vient attaquer les animaux qui sont sous la garde de l’homme, ceux surtout qu’il peut emporter aisément, comme les agneaux, les petits chiens, les chevreaux; et lorsque cette maraude lui réussit, il revient souvent à la charge, jusqu’à ce qu’ayant été blessé ou chassé et maltraité par les hommes et les chiens, il se recèle pendant le jour dans son fort, n’en sort que la nuit, parcourt la campagne, rode autour des habitations, ravit les animaux abandonnés, vient attaquer les bergeries, gratte et creuse la terre sous les portes, entre furieux, met tout à mort avant de choisir et d’emporter sa proie. Lorsque ces courses ne lui produisent rien, il retourne au fond des bois, se met en quête, cherche, suit à la piste, chasse, poursuit les animaux sauvages, dans l’espérance qu’un autre loup pourra les arrêter, les saisir dans leur fuite, et qu’ils en partageront la dépouille. Enfin, lorsque le besoin est extrême, il s’expose à tout, attaque les femmes et les enfans, se jette même quelquefois sur les hommes, devient furieux par ces excès, qui finissent ordinairement par la rage et la mort.

Loup Renard Buffon jpg
Loup Renard - Buffon - Hist. nat. - Source

Le loup, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, ressemble si fort au chien, qu’il paraît être modelé sur la même forme; cependant il n’offre tout au plus que le revers de l’empreinte, et ne présente les mêmes caractères que sous une face entièrement opposée: si la forme est semblable, ce qui en résulte est bien contraire; le naturel est si différent, que non seulement ils sont incompatibles, mais antipathiques par nature, ennemis par instinct. Un jeune chien frissonne au premier aspect du loup, il fuit à l’odeur seule, qui, quoique nouvelle, inconnue, lui répugne si fort, qu’il vient en tremblant se ranger entre les jambes de son maître: un mâtin qui connaît ses forces se hérisse, s’indigne, l’attaque avec courage, tâche de le mettre en fuite, et fait tous ses efforts pour se délivrer d’une présence qui lui est odieuse; jamais ils ne se rencontrent sans se fuir ou sans combattre, et combattre à outrance, jusqu’à ce que la mort suive. Si le loup est le plus fort, il déchire, il dévore sa proie; le chien, au contraire, plus généreux, se contente de la victoire, et ne trouve pas que le corps d’un ennemi mort sente bon, il l’abandonne pour servir de pâture aux corbeaux, et même aux autres loups; car ils s’entredévorent, et lorsqu’un loup est grièvement blessé, les autres le suivent au sang et s’attroupent pour l’achever.

Le chien, même sauvage, n’est pas d’un naturel farouche; il s’apprivoise aisément, s’attache et demeure fidèle à son maître. Le loup pris jeune se prive, mais ne s’attache point, la nature est plus forte que l’éducation; il reprend avec l’âge son caractère féroce, et retourne, dès qu’il le peut, à son état sauvage. Les chiens, même les plus grossiers, cherchent la compagnie des autres animaux, ils sont naturellement portés à les suivre, à les accompagner, et c’est par instinct seul et non par éducation qu’ils savent conduire et garder les troupeaux. Le loup est au contraire l’ennemi de toute société, il ne fait pas même compagnie à ceux de son espèce: lorsqu’on les voit plusieurs ensemble, ce n’est point une société de paix, c’est un attroupement de guerre, qui se fait à grand bruit avec des hurlemens affreux, et qui dénote un projet d’attaquer quelque gros animal, comme un cerf, un bœuf, ou de se défaire de quelque redoutable mâtin. Dès que leur expédition militaire est consommée, ils se séparent et retournent en silence à leur solitude. Il n’y a pas même une grande habitude entre le mâle et la femelle; ils ne se cherchent qu’une fois par an, et ne demeurent que peu de temps ensemble. C’est en hiver que les louves deviennent en chaleur: plusieurs mâles suivent la même femelle, et cet attroupement est encore plus sanguinaire que le premier; car ils se la disputent cruellement, ils grondent, ils frémissent, ils se battent, ils se déchirent, et il arrive souvent qu’ils mettent en pièces celui d’entre eux qu’elle a préféré. Ordinairement elle fuit longtemps, lasse tous ses aspirans, et se dérobe, pendant qu’ils dorment, avec le plus alerte ou le mieux aimé. [...]

1797 - 1863 - Alfred de Vigny
La Mort du Loup

I

Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.

Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant ; bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.

Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

II

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur !
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. "

1818 - 1894 - Charles-Marie Leconte de Lisle
L'Incantation du Loup

Les lourds rameaux neigeux du mélèze et de l'aune.
Un grand silence. Un ciel étincelant d'hiver.
Le Roi du Hartz, assis sur ses jarrets de fer,
Regarde resplendir la lune large et jaune.

Les gorges, les vallons, les forêts et les rocs
Dorment inertement sous leur blême suaire,
Et la face terrestre est comme un ossuaire
Immense, cave ou plat, ou bossué par blocs.

Tandis qu'éblouissant les horizons funèbres,
La lune, oeil d'or glacé, luit dans le morne azur,
L'angoisse du vieux Loup étreint son coeur obscur,
Un âpre frisson court le long de ses vertèbres.

Sa louve blanche, aux yeux flambants, et les petits
Qu'elle abritait, la nuit, des poils chauds de son ventre,
Gisent, morts, égorgés par l'homme, au fond de l'antre.
Ceux, de tous les vivants, qu'il aimait, sont partis.

Il est seul désormais sur la neige livide.
La faim, la soif, l'affût patient dans les bois,
Le doux agneau qui bêle ou le cerf aux abois,
Que lui fait tout cela, puisque le monde est vide ?

Lui, le chef du haut Hartz, tous l'ont trahi, le Nain
Et le Géant, le Bouc, l'Orfraie et la Sorcière,
Accroupis près du feu de tourbe et de bruyère
Où l'eau sinistre bout dans le chaudron d'airain.

Sa langue fume et pend de la gueule profonde.
Sans lécher le sang noir qui s'égoutte du flanc,
Il érige sa tête aiguë en grommelant,
Et la haine, dans ses entrailles, brûle et gronde.

L'Homme, le massacreur antique des aïeux,
De ses enfants et de la royale femelle
Qui leur versait le lait ardent de sa mamelle,
Hante immuablement son rêve furieux.

Une braise rougit sa prunelle énergique ;
Et, redressant ses poils roides comme des clous,
Il évoque, en hurlant, l'âme des anciens loups
Qui dorment dans la lune éclatante et magique.

Loup Cuvier jpg
Loup - Cuvier - Hist. nat. - Source