Léda - L'étude des animaux

Mythes - Poésies - Légendes - Histoires naturelles

Cygne - Léda

-43 - 18? - Ovide / G.T. Villenave - Les Métamorphoses Livre 2 - Cygnus [extrait]

Le fils de Sthénélus, Cygnus, fut témoin de ce prodige nouveau. Quoiqu'il te fût uni par le sang, du côté de ta mère, ô Phaéthon! il l'était encore davantage par les nœuds de l'amitié. Il avait quitté son empire; car il régnait sur les villes et sur les peuples de la Ligurie. Les cris de sa douleur retentissaient dans les riantes campagnes que baigne l'Éridan, à travers les arbres qui bordent son rivage, et dont tes sœurs venaient d'accroître le nombre. Soudain sa voix change et s'affaiblit. Des plumes blanches remplacent ses cheveux blancs. Son col, loin de son sein, se prolonge; des membranes de pourpre unissent ses doigts; un éclatant duvet couvre ses flancs. Sa bouche devient un bec arrondi; Cygnus enfin est un oiseau: mais, timide, il n'ose s'élever dans les airs. Il semble craindre Jupiter, et la foudre injustement lancée sur son ami. Il nage dans les lacs; il cherche les étangs, et ne se plaît que dans l'élément à la flamme contraire. [...]


1707 - 1788 - Comte de Buffon - Histoire naturelle Tome 24 - Le cygne [extrait]

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Cygne de Bewick - Archibald Thorburn - Source

Dans toute société, soit des animaux, soit des hommes, la violence fit les tyrans, la douce autorité fait les rois: le lion et le tigre sur la terre, l’aigle et le vautour dans les airs, ne règnent que par la guerre, ne dominent que par l’abus de la force et par la cruauté; au lieu que le cygne règne sur les eaux à tous les titres qui fondent un empire de paix, la grandeur, la majesté, la douceur; avec des puissances, des forces, du courage et la volonté de n’en pas abuser, et de ne les employer que pour la défense: il sait combattre et vaincre, sans jamais attaquer; roi paisible des oiseaux d’eau, il brave les tyrans de l’air; il attend l’aigle sans le provoquer, sans le craindre; il repousse ses assauts, en opposant à ses armes la résistance de ses plumes, et les coups précipités d’une aile vigoureuse qui lui sert d’égide, et souvent la victoire couronne ses efforts. Au reste, il n’a que ce fier ennemi, tous les autres oiseaux de guerre le respectent, et il est en paix avec toute la Nature; il vit en ami plutôt qu’en roi au milieu des nombreuses peuplades des oiseaux aquatiques, qui toutes semblent se ranger sous sa loi; il n’est que le chef, le premier habitant d’une république tranquille, où les citoyens n’ont rien à craindre d’un maître qui ne demande qu’autant qu’il leur accorde, et ne veut que calme et liberté.

Les grâces de la figure, la beauté de la forme répondent, dans le cygne, à la douceur du naturel; il plaît à tous les yeux, il décore, embellit tous les lieux qu’il fréquente; on l’aime, on l’applaudit, on l’admire; nulle espèce ne le mérite mieux; la Nature en effet n’a répandu sur aucune autant de ces grâces nobles et douces qui nous rappellent l’idée de ses plus charmans ouvrages: coupe de corps élégante, formes arrondies, gracieux contours, blancheur éclatante et pure, mouvements flexibles et ressentis, attitudes tantôt animées, tantôt laissées dans un mol abandon; tout dans le cygne respire la volupté, l’enchantement que nous font éprouver les grâces et la beauté, tout nous l’annonce, tout le peint comme l’oiseau de l’amour, tout justifie la spirituelle et riante mythologie, d’avoir donné ce charmant oiseau pour père à la plus belle des mortelles [k]. [...]

[k] Hélène, née de Léda et d’un cygne, dont, suivant l’antiquité, Jupiter avait pris la figure; Euripide pour peindre la beauté d’Hélène, en faisant en même temps allusion à sa naissance, la désigne, Orest. act. V, par l’épithète forma cygnea.


1839 - 1907 - Sully Prudhomme - Le Cygne

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure ;
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit, rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.

1842 - 1898 - Stéphane Mallarmé

Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.


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Le cygne - Illustration de P. Bonnard - Source

1864 - 1910 - Jules Renard - Histoires naturelles
Le cygne

Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car il n’a faim que des nuages floconneux qu’il voit naître, bouger, et se perdre dans l’eau. C’est l’un d’eux qu’il désire. Il le vise du bec, et il plonge tout à coup son col vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d’une manche, il retire.
Il n’a rien.

Il regarde: les nuages effarouchés ont disparu.
Il ne reste qu’un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l’eau, en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s’approche...

Il s’épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu’il mourra, victime de cette illusion, avant d’attraper un seul morceau de nuage.
Mais qu’est-ce que je dis?
Chaque fois qu’il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver.
Il engraisse comme une oie.


Comme entrevu ci-dessus avec Buffon, dans la mythologie grecque, Zeus se métamorphosa en cygne pour séduire Léda, fille du roi d'Etolie, Thestios, et épouse du roi de Sparte, Tyndare. Léda eut cinq enfants; Hélène et Pollux, enfants de son union avec le dieu Zeus, naquirent dans un oeuf; Clytemnestre et Castor, enfants de son époux Tyndare, naquirent aussi dans un oeuf; Phébé est également une des filles de Tyndare. Enfin Castor est parfois présenté comme étant aussi un enfant de Zeus (comme Pollux).

1858 - 1915 - Remy de Gourmont - Léda

L'innocente Léda baignait ses membres nus,
La grâce de son corps enchantait l'eau du fleuve,
Et les roseaux, pressés de frissons inconnus,
Disaient une musique aussi douce que neuve,

Quand le cygne parut, blanche nef sur le fleuve.

Quand le cygne parut, blanche nef au front d'or,
Léda tressaillit d'aise et demeura songeuse,
Puis, lentement, sans bruit, elle revint au bord
Et se coucha dans l'herbe, à l'ombre d'une yeuse ;

La bête s'avançait, belle, ardente et songeuse.

La bête s'avançait, belle, ardente, et d'un air
Si royal et si mâle, que Léda fut charmée
Et qu'elle regretta, dans l'erreur de sa chair,
De n'être pas un cygne, afin d'en être aimée

Parmi l'ombre et parmi l'herbe molle et charmée.

Parmi l'ombre et parmi l'herbe molle et les lys,
Léda se ploie au poids de l'animal insigne,
Tout ruisselant encore des eaux de Simoïs,
Et son corps étonné frissonne et se résigne

A ne caresser que le plumage d'un cygne.

1840 - 1909 - Jean Lahor - Léda

Au cygne frissonnant qui la vient embraser
Elle offre son beau corps robuste sans comprendre :
Des Immortels naîtront de ce muet baiser,
Et la forme d'Hélène en ce flanc va descendre.

Et par l'étrange éclat des soirs mystérieux
C'est ainsi que toujours la stupide Matière,
Et la femme ignorante ont procréé les Dieux,
Sans deviner d'où leur venait tant de lumière !

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Léda - Gustave Moreau - Source