Depuis la Bible, le Déluge et l'arche de Noé, et même sans doute bien avant, la colombe et le corbeau semblent s'opposer comme le blanc et le noir ou le bien et le mal.
Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait faite à l'arche. Il lâcha le corbeau, qui sortit, partant et revenant, jusqu'à ce que les eaux eussent séché sur la terre. Il lâcha aussi la colombe, pour voir si les eaux avaient diminué à la surface de la terre. Mais la colombe ne trouva aucun lieu pour poser la plante de son pied, et elle revint à lui dans l'arche, car il y avait des eaux à la surface de toute la terre. Il avança la main, la prit, et la fit rentrer auprès de lui dans l'arche. Il attendit encore sept autres jours, et il lâcha de nouveau la colombe hors de l'arche. La colombe revint à lui sur le soir; et voici, une feuille d'olivier arrachée était dans son bec. Noé connut ainsi que les eaux avaient diminué sur la terre. Il attendit encore sept autres jours; et il lâcha la colombe. Mais elle ne revint plus à lui.
Attention cependant à ne pas être trop manichéen, le corbeau a aussi parfois un beau rôle comme lorsqu'il nourrit le Prophète Elie ou encore saint Paul l'Ermite. Selon Ovide il avait même un plumage blanc comme la colombe ou le cygne jusqu'au jour où les Dieux le changèrent en noir pour le châtier de ses indiscrétions et bavardages. Pline quant à lui nous rapporte quelques belles anecdotes concernant cet oiseau
Les dieux de la mer exaucent la prière de la fille de Saturne; elle remonte sur son char rapide, traîné par des paons, dont la queue, depuis la mort récente d'Argus, étalait le nouvel éclat de ses yeux. C'est ainsi que, dans le même temps, Corbeau trop indiscret, tes plumes devinrent noires, de blanches qu'elles étaient auparavant. Ton plumage, brillant comme la neige, égalait la blancheur sans tache des colombes. Il ne cédait en rien à celle de l'oiseau vigilant dont les cris devaient un jour sauver le Capitole, à celle du cygne même qui se plaît dans les eaux. Mais ta langue te perdit; et, pour n'avoir pu te taire, la couleur de l'ébène couvre maintenant ton plumage argenté.
Rendons aussi justice aux corbeaux, dont le mérite a été attesté non seulement par le sentiment du peuple romain, mais aussi par son indignation. Sous le règne de Tibère, un petit, né dans un nid placé sur le temple des Dioscures, tomba dans une boutique de cordonnier située vis-à-vis: la religion même le recommandait au maître de la boutique. L'oiseau, habitué de bonne heure à parler, s'envolait tous les matins sur la tribune, et, tourné vers le forum, il saluait nominativement Tibère, puis les Césars Germanicus et Drusus, puis le peuple qui passait sur la place; après, il retournait dans la boutique. Son assiduité fit pendant plusieurs années l'admiration générale.
Un cordonnier voisin le tua, soit par jalousie, soit par un accès soudain de colère, comme il voulut le faire croire, parce que l'oiseau lui avait sali des chaussures par ses excréments. La multitude en conçut tant de fureur, que d'abord elle chassa de ce quartier, puis tua le coupable. Une foule innombrable assista aux funérailles solennelles de l'oiseau; le lit funéraire fut porté sur les épaules de deux Éthiopiens précédés d'un joueur de flûte, avec des couronnes de toute espèce, jusqu'au bûcher, qui était élevé à la droite de la voie Appienne, à deux milles de Rome, dans le champ appela Rediculus.
Ainsi le talent d'un oiseau parut au peuple romain une juste cause de faire des funérailles solennelles, ou de punir de mort un citoyen, dans une ville où aucun cortège n'avait suivi le convoi de tant d'hommes remarquables, et où personne n'avait vengé la mort de Scipio Émilien, destructeur de Carthage et de Numance. Ce fait se passa sous le consulat de M. Servilius et de C. Cestius, le 5 avant les kalendes d'avril (28 mars). Aujourd'hui même, au moment où j'écris, il y a dans Rome une corneille qui appartient à un chevalier romain: elle vient de Bétique. Remarquable par sa couleur absolument noire, elle prononce en outre des phrases entières, et chaque jour elle en apprend de nouvelles.
Récemment on a parlé de Craterus, surnommé Monoceros, qui, dans l'Erizène, contrée d'Asie, chassait à l'aide de corbeaux. Il les portait dans les forêts, perchés sur les aigrettes de son casque et sur ses épaules; les corbeaux cherchaient le gibier, et le faisaient lever; l'habitude en était tellement prise, que dans ses parties de chasse il était accompagné même par les corbeaux sauvages. Des auteurs ont cru digne de mémoire le fait suivant: Un corbeau altéré fut aperçu jetant des pierres dans une urne funéraire, où de l'eau de pluies était amassée; l'oiseau n'y pouvait pas atteindre, et il craignait de descendre au fond du vase. Par cet amas de pierres il fit monter assez l'eau pour boire.
Dans un autre chapitre de son Histoire naturelle, Pline l'Ancien présente également (entre autres) le corbeau comme un oiseau de mauvais augure et la tradition retient principalement cette image. Il est vrai que l'on vit rarement des colombes tournoyer au-dessus des champs de bataille et des gibets comme dans la Ballade des Pendus de François Villon:
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Les corbeaux passent sous un ciel bleu et sans couture. Tout à coup l’un d’eux, qui est en tête, ralentit, et trace un grand cercle. Les autres tournent derrière lui. Ils semblent danser une ronde par ennui de la route, et faire des grâces avec leurs ailes tendues comme les plis d’une jupe.
... Un corbeau
Tout à l’heure annonçait malheur à quelque oiseau.
J’ai pris mon fusil et tué le corbeau.
Il ne s’était pas trompé.
Il existe un oiseau, dont le pâle plumage,
Des forêts du tropique étonne la gaieté ;
Seul sur son arbre en deuil, les pleurs de son ramage
Font gémir de la nuit le silence attristé.
Le choeur ailé des airs, loin de lui rendre hommage,
Insulte, en le fuyant, à sa fatalité ;
Lui-même se fuirait, en voyant son image
Poignardé de naissance, il naît ensanglanté.
Et le poète aussi, merveilleuse victime,
Qui mêle de son sang dans tout ce qu'il anime,
Arrive dans ce monde, un glaive dans le coeur ;
Et l'on n'a point encore inventé de baptême,
Qui puisse en effacer le stigmate vainqueur :
Cette tache de mort, c'est son âme elle-même.
Ni tout noirs, ni tout verts, couleur
D'espérances jamais en fleur,
Les ifs balancent des colombes,
Et cela réjouit les tombes.
Elles éclatent, dans les ifs,
Ainsi que des fruits excessifs,
Effeuillant leurs plumes perdues
Au vent des vieilles avenues.
Dans l'azur qui va s'éclairant,
En haut de l'arbre le plus grand,
Qui monte, tel qu'une fusée,
Une entre autres est balancée.
Sous ses beaux yeux délicieux
Elle semble, d'un coin des cieux,
Couver l'aurore qui s'est faite
Au fond du cimetière en fête.
Et chaque arbre, panache noir
Du plus minable désespoir,
Sous les blanches plumes en foule
Est un colombier qui roucoule.
Ces oiseaux, dont les voix sont soeurs,
Ces adorables obsesseurs,
Ce sont évidemment les âmes
Des demoiselles et des dames
Dont la tombe douce reluit
Et dont la lune, chaque nuit,
Epelle, à ses lueurs glacées,
Les épitaphes insensées !
Partout la mer unique étreint l'horizon nu,
L'horizon désastreux où la vieille arche flotte ;
Au pied du mât penchant l'Espérance grelotte,
Croisant ses bras transis sur son coeur ingénu.
Depuis mille et mille ans pareils, le soir venu,
L'Ame assise à la barre, immobile pilote,
Regarde éperdument dans l'ombre qui sanglote
Ses colombes s'enfuir vers le port inconnu.
Elles s'en vont là-bas, éparpillant leurs plumes
A travers le vent fou qui les cingle d'écumes,
Ivres du vol sublime enfermé dans leurs flancs ;
Et, chaque lendemain, au jour blême et cynique,
L'arche voit surnager leurs doux cadavres blancs,
Les deux ailes en croix sur la mer ironique.
En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. Au moment où il sortait de l'eau, il vit les cieux s'ouvrir, et l'Esprit descendre sur lui comme une colombe. Et une voix fit entendre des cieux ces paroles: Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection.
La colombe roucoule aussi dans le Bestiaire, ou Cortège d'Orphée, d'Apollinaire.
Colombe, l’amour et l’esprit
Qui engendrâtes Jésus-Christ,
Comme vous j’aime une Marie.
Qu’avec elle je me marie.