Léda - L'étude des animaux

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Aigle

23 - 79 - Pline l'Ancien E. Littré - Histoire naturelle Livre X 3-6 - L'aigle

De tous les oiseaux que nous connaissons, l'aigle est le plus noble et le plus fort. On en distingue six espèces celui qu'on nomme en grec melanaetos, et en latin valéria, c'est le plus petit, mais par la force le premier: il est d'une couleur noirâtre: seul parmi les aigles il nourrit ses petits; les autres, comme nous le dirons (X, 4), chassent; seul, il n'a ni cri éclatant ni murmure; il vit dans les montagnes. La seconde espèce est le pygargue; il préfère le voisinage des villes et des plaines; sa queue est blanchâtre.

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Aigle de mer - Buffon - Hist. nat. - Source

La troisième espèce est le morphnos, qu'Homère (Il., 24, 315); appelle aussi percnos, d'autres plancus, anataria; il est le second pour la taille et la force; il habite autour des lacs. Phémanae, dite fille d'Apollon, a rapporté que cet aigle a des dents; que d'ailleurs il est muet et dépourvu de langue; que c'est le plus noir des aigles, et que sa queue est plus longue que celle des autres. Boeus est du même avis. Cet aigle a l'instinct de briser l'écaille des tortues qu'il enlève, en les laissant tomber de haut: ce qui causa la mort du poète Eschyle: l'oracle lui avait, dit-on, prédit pour ce jour-là la chute d'une maison, et lui s'en venait en se mettant avec sécurité sous la voûte des cieux.

La quatrième espèce est le percnoptère, ou oripélarge; il a l'apparence du vautour, les ailes très petites: du reste il l'emporte sur les autres par la taille, mais il est lâche et abâtardi, tellement qu'il se laisse battre par un corbeau. Avide et toujours affamé, il fait entendre un murmure plaintif; seul des aigles, il enlève des charognes; les autres se posent à terre quand ils ont tué leur proie.

Par opposition on appelle la cinquième espèce gnestos, c'est-à-dire légitime, et seule de race pure: elle est d'une taille moyenne, d'une couleur tirant sur le fauve; on la voit rarement. Reste l'haliaeète; son oeil est des plus perçants; il plane au haut des airs, et, apercevant un poisson dans la mer, il se laisse tomber dessus, entrouvre l'eau avec sa poitrine, et enlève sa proie.

L'aigle de la troisième espèce poursuit autour des étangs les oiseaux aquatiques: pour lui échapper ils se plongent de temps en temps dans l'eau; mais la lassitude et le sommeil les gagnent, et il s'en empare. C'est un combat curieux à voir: l'oiseau cherche un refuge sur la rive, surtout si elle offre des roseaux serrés; l'aigle l'en chasse à coups d'aile, et tombe dans l'eau en voulant le saisir; son ombre, qui se projette, est aperçue par l'oiseau, qui nage sous l'eau, et qui va sortir dans un endroit éloigné, là ou il pense que son ennemi l'attend le moins. Aussi les oiseaux aquatiques nagent-ils en troupes; leur nombre les met à l'abri de l'attaque: ils aveuglent l'ennemi en l'aspergeant avec leurs ailes. Souvent même les aigles, hors d'état d'enlever l'animal qu'ils ont saisi, sont entraînés avec lui au fond de l'eau.

L'haliaeète, frappant ses petits encore dépourvus de plumes, les force de temps en temps à regarder le soleil en face: s'il en voit un cligner ou larmoyer, il le précipite en bas de son nid, comme adultérin et dégénéré; il élève celui dont l'oeil reste fixe. L'haliaeète n'est pas une espère à part; il provient du mélange des diverses espèces d'aigles; les petits auxquels les haliaeètes donnent naissance sont de l'espèce des ossifrages, desquels viennent les petits vautours: et de ces petits vautours viennent les grands, qui sont absolument stériles. Quelques-uns font une septième espèce d'aigle, qu'ils nomment barbus; c'est l'ossifrage des Étrusques.

Les trois premières espèces d'aigles et la cinquième font entrer dans la construction de leurs aires la pierre aétite, que d'autres ont appelée gangite; elle est bonne pour plusieurs remèdes (XXXVI, 39), et ne perd rien par le feu. Cette pierre offre une sorte de grossesse: quand on la secoue, on entend résonner dans l'intérieur une autre pierre, comme dans un utérus. Mais elle n'a de vertu médicamenteuse qu'autant qu'elle a été enlevée dans l'aire même. Les aigles font leur aire dans les rochers et les arbres; ils pondent trois oeufs, dont deux seulement éclosent; on a vu aussi quelquefois trois petits.

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Aigle impérial - Orbigny - DUHN - Source

Sur les deux petits, ils en chassent un, ennuyés de le nourrir; car à cette époque la nourriture leur manque, par une prévoyance de la nature, qui n'a pas voulu que les petits de tous les autres animaux pussent devenir leur proie. A cette époque aussi leurs ongles se renversent, leurs plumes blanchissent par l'abstinence qu'ils éprouvent, et il n'est pas étonnant qu'ils prennent en haine leurs petits. Les ossifrages, espèce alliée, accueillent les petits qui ont été chassés et les élèvent avec les leurs. Les parents pourchassent les petits, même quand ils sont devenus grands, et les éloignent; car ce serait autant de rivaux pour la chasse.

Au reste, un couple d'aigles a besoin d'un grand espace pour trouver de quoi se nourrir. Ils règlent donc leurs limites respectives, et n'exercent point de déprédations sur le territoire limitrophe. Ils n'emportent pas aussitôt leur proie, mais ils la déposent d'abord, et ce n'est qu'après en avoir éprouvé le poids qu'ils prennent leur essor. Ils meurent non de vieillesse, non de maladie, mais de faim; la partie supérieure de leur bec prend de la croissance et il devient tellement recourbé qu'ils ne peuvent plus l'ouvrir. Ils se mettent en chasse et volent au milieu du jour. Ils restent oisifs dans les heures du matin, et jusqu'au moment où les places publiques se remplissent de monde. Les plumes des aigles mêlées aux plumes des autres oiseaux les consument. On dit que cet oiseau est le seul que la foudre ne tue pas; c'est pour cela qu'on lui fait porter la foudre de Jupiter.

C. Marius. dans son second consulat assigna exclusivement l'aigle aux légions romaines. Jusqu'alors l'aigle n'avait été que la première: et quatre autres animaux, le loup, le minotaure, le cheval et le sanglier, précédaient chacun un rang. Peu d'années avant Marius, on ne portait que l'aigle sur le champ de bataille; les autres étaient laissés dans le camp: Marius les supprima complètement. Depuis on a remarqué que presque jamais légion n'a eu son camp d'hiver dans un endroit où il ne se trouvât pas une couple d'aigle.

La première et la seconde espèce d'aigles, non seulement fait la chasse aux petits quadrupèdes, mais encore livre des combats aux cerfs. L'aigle se roule dans la poussière et s'en couvre puis, se perchant sur le bois du cerf, il lui jette la poussière dans les yeux, et de ses ailes lui frappe la face, jusqu'à ce qu'il le précipite dans les rochers. Et ce n'est pas assez pour lui de cet ennemi: il livre au dragon un combat plus acharné et dont l'issue est beaucoup plus incertaine, quoique dans l'air. Le dragon recherche les oeufs de l'aigle avec avidité, et les détruit; aussi l'aigle l'enlève-t-il partout où il l'aperçoit: l'autre lui enlace les ailes dans ses replis multipliés, et tous deux tombent à terre.

Il y a dans la ville de Sestos une histoire très célèbre sur un aigle: il avait été élevé par une jeune fille, et il lui en témoigna sa reconnaissance en lui apportant d'abord des oiseaux, ensuite du gibier. Elle mourut: l'aigle se jeta dans son bûcher enflammé, et fut brûlé avec elle. En mémoire de cet événement, les habitants élevèrent sur la place un heroum dédié à Jupiter et à la jeune fille, parce que l'aigle est l'oiseau de ce dieu.

1707 - 1788 - Comte de Buffon - Histoire naturelle Tome 16 - Le grand aigle [extrait]

[...] L’aigle a plusieurs convenances physiques et morales avec le lion; la force, et par conséquent l’empire sur les autres oiseaux comme le lion sur les quadrupèdes; la magnanimité, ils dédaignent également les petits animaux et méprisent leurs insultes; ce n’est qu’après avoir été longtemps provoqué par les cris importuns de la corneille ou de la pie, que l’aigle se détermine à les punir de mort; d’ailleurs, il ne veut d’autre bien que celui qu’il conquiert, d’autre proie que celle qu’il prend lui-même; la tempérance, il ne mange presque jamais son gibier en entier, et il laisse comme le lion les débris et les restes aux autres animaux. Quelque affamé qu’il soit, il ne se jette jamais sur les cadavres. Il est encore solitaire comme le lion, habitant d’un désert dont il défend l’entrée et l’usage de la chasse à tous les autres oiseaux; car il est peut-être plus rare de voir deux paires d’aigles dans la même portion de montagne, que deux familles de lions dans la même partie de forêt; ils se tiennent assez loin les uns des autres pour que l’espace qu’ils se sont départi leur fournisse une ample subsistance; ils ne comptent la valeur et l’étendue de leur royaume que par le produit de la chasse. L’aigle a de plus les yeux étincelans et à peu près de la même couleur que ceux du lion, les ongles de la même forme, l’haleine tout aussi forte, le cri également effrayant [q]. Nés tous deux pour le combat et la proie, ils sont également ennemis de toute société, également féroces, également fiers et difficiles à réduire; on ne peut les apprivoiser qu’en les prenant tout petits. [...]

[q] Nota. Nous avons comparé l’aigle au lion, et le vautour au tigre; or, l’on sait que le lion a la tête et le cou couverts d’une belle crinière, et que le tigre les a, pour ainsi dire, nus en comparaison du lion; il en est de même du vautour, il a la tête et le cou dénués de plumes, tandis que l’aigle les a bien garnis et couverts de plumes.

Dans cette note Buffon résume la classification qui sous-tend les portraits physiques et moraux qu'il dresse de ces quatre animaux. Le portrait de l'aigle , mais aussi du tigre, y repose sur celui du lion, voir donc en complément les pages Lion, Tigre et Vautour.

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Grand Aigle [détail] - Buffon - HNDO - Source

1842 - 1905 - José-Maria de Heredia

La Mort de l'Aigle

Quand l'aigle a dépassé les neiges éternelles,
A ses larges poumons il veut chercher plus d'air
Et le soleil plus proche en un azur plus clair
Pour échauffer l'éclat de ses mornes prunelles.

Il s'enlève. Il aspire un torrent d'étincelles.
Toujours plus haut, enflant son vol tranquille et fier,
Il plane sur l'orage et monte vers l'éclair
Mais la foudre d'un coup a rompu ses deux ailes.

Avec un cri sinistre, il tournoie, emporté
Par la trombe, et, crispé, buvant d'un trait sublime
La flamme éparse, il plonge au fulgurant abîme.

Heureux qui pour la Gloire ou pour la Liberté,
Dans l'orgueil de la force et l'ivresse du rêve,
Meurt ainsi d'une mort éblouissante et brève !